Ma question est donc de savoir s’il va falloir intégrer les écrans petit à petit. Si je m’écoutais, je n’autoriserais pas les écrans avant longtemps, mais il y aura bientôt l’école et, malheureusement, la pression des dessins animés est à prévoir. Personnellement, je ne vois pas l’intérêt de ces dessins animés de mauvaise qualité qu’on voit sur Internet, mais je sais (étant passionnée de cinéma) qu’il y a des films ou courts-métrages qu’on peut voir sur la télévision qui permettent de découvrir le cinéma pour enfant et le côté artistique des images. Dois-je intégrer de courts films choisis avec minutie ? Y a-t-il des procédures à suivre : des temps à respecter, des explications après visionnage ou autre, pour faire les choses de la meilleure façon ? Quelles sont les recommandations en terme qualitatif ? En bref, dois-je me faire violence pour intégrer la télévision, mais surtout peut-être le cinéma (en termes d’œuvre d’art), ou juste attendre qu’un jour ma fille réclame de regarder la télévision comme les copains ?
Réponse
Comment avez-vous fait pour extraire votre fille de « tout écran » : vous n’en utilisiez pas devant elle ? Elle n’en demandait pas ? Car les enfants sont attirés par ce qui nous attire. Vous dites que vous êtes passionnée de cinéma, comment faites-vous pour éviter que votre enfant ne soit mise en contact avec les écrans ? La deuxième piste, qui découle de la première, est celle de la clé no 10, car vous parlez « d’autoriser ». En Éducation Efficace, l’autorité (autoriser/interdire) est une mesure d’exception, en situation d’urgence vitale qui se justifie seulement par un danger imminent ne permettant pas d’obtenir le consentement de l’enfant dans un délai qui lui évite d’être en danger ou de mettre quelqu’un d’autre en danger. Donc si votre intention était d’interdire tout type d’écran par principe, même si votre petite fille le demande et qu’il y en a chez vous, cela ne serait pas efficace et risquerait de générer une frustration qui, comme vous le savez peut-être, augmente le désir : plus on refuse quelque chose auquel l’enfant a accès (auquel il sait qu’il pourrait avoir accès si on ne le lui refusait pas) et plus l’enfant le demande. Je vois souvent en consultation des enfants qui passent beaucoup de temps (et gaspillent beaucoup d’énergie) à demander de jouer à la console ou de regarder la télévision et qui ont des décharges émotionnelles intenses, voire violentes, lorsqu’on le leur interdit (ou que l’on coupe au bout de « 30 minutes réglementaires »), et je constate que c’est précisément cette rigidité et cette méfiance parentale au sujet « des écrans » qui en décuple l’attractivité pour l’enfant. Concernant la nocivité « des écrans » par a priori, rien n’est prouvé quoi qu’en dise la doxa : entre le fait de mettre un enfant de 18 mois attaché dans une poussette devant un écran dont il ne peut s’extraire (ce qui constitue une forme de maltraitance) ou lui donner un smartphone pendant qu’il mange pour le distraire et lui faire ouvrir la bouche d’une part, et le fait de laisser tourner à la télévision un dessin animé que l’enfant connaît déjà, en « bruit de fond », pendant qu’il dessine, joue, s’active tout en faisant des allers-retours entre l’écran, les jeux et le parent qui répond à ses sollicitations et qui connaît le contenu du dessin animé parce qu’il l’a déjà regardé au moins une fois avec l’enfant pour vérifier que cela lui convient d’autre part, c’est la même différence qu’entre donner du soda sucré au biberon du petit déjeuner et proposer un peu de jus d’orange pressé à la petite cuillère.
Donc, pour répondre à votre question, vous pouvez vous rassurer et vous libérer l’esprit de ces menaces hypermédiatisées qui utilisent des comparaisons fallacieuses (en parlant éhontément d’« autisme virtuel », qui est une invention médiatique visant à faire la promotion de pseudo-scientifiques en quête de notoriété) et des prophéties catastrophes : elles sont colportées généralement pas des gens qui n’ont pas idée de ce dont ils parlent lorsqu’ils disent « les écrans » (ni d’ailleurs lorsqu’ils disent « les enfants »). Je vous invite à considérer que ces outils font partie de notre vie quotidienne et qu’il vaut mieux accompagner les enfants sur le chemin de l’apprentissage, afin qu’ils sachent s’en servir comme des outils utiles et bénéfiques, plutôt que sur celui de la prohibition et de la culpabilité.